Mr Nobody est un film vraiment intéressant, bien qu'assez déroutant au premier visionnage et un tantinet mélancolique.
L'histoire s'inscrit d'abord dans un cadre futuriste, focalisée sur Nemo Nobody, le "dernier mortel" sur Terre, ce dernier étant très âgé et visiblement affecté par une certaine confusion mentale. Quelqu'un vient l'interroger sur son passé et c'est ainsi qu'il se met à conter ses différentes vies, ce qui est déjà un tant soit peu paradoxal.
Un autre facteur important d'incertitude réside dans le fait que, si le vieillard Mr Nobody semble avoir connu plusieurs existences à la fois, échappant aux lois de la physique et du temps régissant ce monde, l'enfant Nemo parait quant à lui capable de précognition, anticipant les évènements futurs du fait que les "anges de l'oubli" l'auraient mis de côté (ceux qui verront le film me comprendront).
Chacune de ses vies possibles correspondrait ainsi aux multiples embranchements en arborescence qui se présentent à nous lorsque l'on doit faire un choix. C'est alors que survient ce que l'on peut assurément considérer comme la scène centrale de ce long-métrage, celle où l'enfant, sur le quai de la gare, tandis que ses parents se séparent pour toujours, doit choisir entre monter à bord du train avec sa mère ou rester avec son père. Le jeune garçon se trouve donc confronté à un choix impossible, un problème indissoluble à partir duquel il va entrevoir toutes les possibilités que recouvre sa décision, tous les pans de sa vie qu'il lui faudrait occulter s'il devait se résoudre à trancher... ("Choisir, c'est renoncer", comme le disait Gide). C'est durant cette sublime séquence chargée d'émotions qu'une réplique énoncée précédemment dans le film prend tout son sens : « On ne peut pas revenir en arrière. C'est pas facile de choisir. Il faut faire le bon choix. Tant qu'on ne choisit pas, tout reste possible ».
À partir de cette étape décisive dans le parcours de Mr Nobody, vont essentiellement se dessiner non pas deux, mais trois axes majeurs retraçant les vies respectives qu'il aurait vécues suivant qu'il soit allé avec sa mère ou qu'il soit resté avec son père. Le long-métrage ne cesse de jongler entre ces trois vies (racontées en quelque sorte sur le même plan par le vieillard mourant qu'est devenu Mr. Nobody), ce parfois sans transition et de manière abrupte, ce qui peut faire de l'acte de démêler les nœuds en vue de mieux comprendre l'histoire un exercice assez délicat et déconcertant, en particulier durant la première heure de visionnage, tant que l'on a pas incorporé la logique interne du film. Pour nous aider à mieux nous y retrouver, le long-métrage associe chacune de ces vies à une femme, l'un des grands amours de Mr. Nobody, un point d'ancrage dans ce tumultueux océan qu'est le fait non pas d'être selon je ne sais quel déterminisme, mais d'exister du point de vue satrien. Il est juste dommage que chacune de ces relations ne soit pas traitée avec un même intérêt, le film valorisant clairement la première romance, celle entre Mr. Nobody et Anna, ce au total détriment des deux autres, quoique la seconde reste intéressante grâce à l'actrice Sarah Polley (incarnant Elise), qui nous livre une interprétation très convaincante de ce que peut-être la dépression.
Le long-métrage n'est certes pas parfait et, débordant d'idées, tels ses apartés sur la physique quantique, l'effet papillon, le principe d'entropie ou le Big Crunch, à mettre en relation avec le(s) parcours du protagoniste, il tend à partir un peu dans tous les sens, prenant des détours que ne laisse pas forcément présager sa bande-annonce, avec par exemple un passage par la science-fiction et la planète Mars, donnant à l'ensemble une allure parfois assez décousue. Même une fois arrivé à la fin de l'oeuvre, on n'est pas pour autant certain d'avoir tout saisi.
Certaines clés de compréhension nous sont néanmoins transmises, notamment à partir de l'instant où le vieux Nemo lance à son interlocuteur cette assertion : « Je n'existe pas, vous n'existez pas, nous sommes tous deux issus de l'imagination d'un enfant de dix ans confronté à un choix impossible pour lui ». Ainsi, on est en droit de supposer que depuis le début, la scène était racontée du point de vue non du vieillard, mais de l'enfant sur le quai de la gare, capable dans un éclair fulgurant de repousser les limites et d'entrevoir les plus lointains horizons des différents rails que pouvait prendre sa vie, ce qui lèverait le paradoxe initial. Son ultime décision reste cependant assez énigmatique et sujette à de multiples interprétations, comme le reste du long-métrage, d'ailleurs. Rien ne vient non plus formellement contredire l'idée que l'histoire qui nous est relatée ne serait qu'une perception déformée de la réalité par un narrateur frappé d'une certaine sénilité et n'étant plus apte à faire la distinction entre les faits passés et les délires issus des méandres de son imagination.
Bien que chacun soit libre de se faire sa propre idée du film, il me paraît pour ma part assez clair que Mr. Nobody cherche à nous faire ressentir la difficulté de faire un choix, le vertige face à toute la multiplicité et l'étendue des possibilités qui peuvent se présenter à nous lorsque vient l'heure de prendre une décision qui, comme toutes celles qui l'ont précédée, sera en quelque sorte constitutive de notre identité (à contrario, Nemo Nobody n'est personne parce qu'il suspend sa décision et évolue dans l'interstice entre ses différents devenirs possibles). Ainsi, la vie n'est pas seulement ce que nous avons été, mais aussi tout ce que nous aurions pu être, dans toutes ses potentialités et ses déclinaisons. Pour reprendre les propos du sage Faber dans le roman Fahrenheit 451 de Ray Bradbury quand il parle des livres et de leur valeur inestimable, je les appliquerai ici à ce long-métrage : « Observez-le au travers d'un microscope, vous y trouverez la vie en son infini foisonnement ». Lorsque Nemo Nobody dit « Je n'ai pas peur de mourir, j'ai simplement peur de ne pas avoir assez vécu », on peut sans doute y voir là l'injonction faite au delà du quatrième mur pour que nous vivions pleinement notre vie, sans remords et sans regrets. Un message salvateur pour l'éternel indécis que je suis.
Quelques mots sur la forme. Certaines astuces de réalisation sont vraiment bien pensées. L'interprétation de Jared Leto est excellente et sied parfaitement à son rôle. Mais, malgré le fait qu'il soit l'acteur le plus mis en avant sur l'affiche et ayant le plus grand temps de présence, les jeunes interprètes jouant les personnages respectifs de Nemo Nobody et d'Anna à l'âge de 15 ans sont peut-être finalement les plus talentueux. J'avoue qu'en ce qui concerne leur relation, c'est l'une des rares fois qu'une romance ne m'a pas paru forcée, mais bien au contraire naturelle et apte à toucher ma corde sensible. La musique se compose quant elle de mélodies certes plutôt simples, mais très belles et empreintes d'une douceur amère.
Pour finir, je vous conseille vraiment de regarder ce film, même s'il peut par certains côtés rebuter. Par ailleurs, n'hésitez pas à vous pencher sur cet article axé philosophie, qui en fait une très bonne analyse.
http://labophilo.blogspot.cl/2011/10/mr-nobody-de-jaco-van-dormael.html