Attention, cet article comporte des spoilers des trois premières saisons de la série Game of Thrones. Je vous en déconseille donc la lecture si vous n'êtes pas à jour et que vous souhaitez vous y mettre.
And who are you, the proud lord said,
that I must bow so low ?
Only a cat of a different coat,
that's all the truth I know.
In a coat of gold or a coat of red,
a lion still has claws.
And mine are long and sharp, my lord,
as long and sharp as yours.
And so he spoke, and so he spoke,
that lord of Castamere.
But now the rains weep o'er his hall,
with no one there to hear.
Yes now the rains weep o'er his hall,
and not a soul to hear.
Ce chant funèbre, intitulé « The Rains of Castamere », est sans doute l'introduction la plus adaptée pour montrer ce qu'il en coûte de s'opposer aux Lannister, comme en témoigne le sinistre destin qu'a connu la maison Reyne, qui avait pour siège Castamere et qui croyait pouvoir égaler la famille à laquelle elle était assujettie par les serments qui régissaient les rapports entre suzerain et bannerets.
Mais c'est aussi pour nous l'occasion d'introduire une galerie de personnages hauts en couleur, initialement perçus comme des individus détestables. Nous avons ici affaire à l'une des plus puissantes familles suzeraines du Royaume des Sept Couronnes, étendu à presque toute la superficie du continent de Westeros. Cet univers, que George R. R. Martin a façonné à travers sa saga, A Song of Ice and Fire, a été désormais retranscrit sous forme d'une série télévisée, Game of Thrones, dont l'écho a été considérable. S'il existe une multiplicité de lieux et d'intrigues, une part importante de l'histoire est avant tout dédiée à cette lutte impitoyable que mènent les différentes familles en vue de s'accaparer le Trône de Fer, symbole du pouvoir absolu, ou bien réclamer « justice », sur fond de vendettas, de complots et de trahisons.
À ce jeu, nul doute que la famille dont il va être question aujourd'hui excelle. Régnant d'abord sur les Terres de l'Ouest, riches en ressources minières et aurifères, la maison Lannister, qui a pour emblème un lion d'or sur un blason rouge, est fière de son rang et n'hésite pas à le montrer, comme en atteste sa devise officielle, « Entendez-moi rugir ». S'ils se présentent en premier lieu comme les principaux antagonistes, face à l'honorable maison Stark, le lecteur et le spectateur apprendront, au fil de la progression du récit, à connaître plus en profondeur les membres de cette famille. Nous allons à présent nous intéresser à chacun d'entre eux, du moins les plus importants (il ne sera donc pas question de personnages tels que Lancei et Kevan, qui revêtent une dimension assez mineure au début de la saga), afin d'en faire un portrait un peu plus exhaustif.
Tout d'abord, nous avons le patriarche, Tywin Lannister, doté d'une grande expérience, acquise tout aussi bien sur les champs de bataille que lors des intrigues de cour, qui a su parfaitement la mettre à profit, veillant à la défense des intérêts de sa famille. Il est si riche qu'on dit de lui qu'il « chie de l'or » (oui, je sais, les mœurs en vigueur dans les contrées de Westeros s'accordent assez mal avec l'âme d'un poète).
Ses basses œuvres, il les fait généralement exécuter par celui que l'on nomme « La Montagne », Ser Gregor Clegane, le plus dangereux de ses bannerets, redoutable machine à tuer qui allie ses impressionnantes aptitudes physiques à un esprit des plus brutaux et sanguinaires, raison pour laquelle il est davantage connu sous l’appellation : « le chien fou de Tywin ».
Autoritaire, implacable, cruel, cynique et calculateur, Tywin Lannister dispose de toutes les cartes en main pour remporter le jeu de trône et faire tomber ses adversaires dans un conflit qui n'est pas sans rappeler par moment la guerre totale que la famille des Corleone a dû mener contre les cinq autres grandes familles maffieuses de New York dans le premier volet de la saga du Parrain, chef d'oeuvre réalisé par Francis Ford Coppola. D'une certaine manière, Tywin Lannister est lui aussi un « parrain » dépourvu de toute pitié et prêt à tout pour protéger son rang, assurant la pérennité d'une dynastie destinée à « régner pendant un millier d'années », de la même façon que Michael Corleone est prêt à tout pour préserver sa famille des horreurs de ce monde (toute proportion gardée, bien sûr).
La similitude est d'autant plus frappante si l'on établit un parallèle entre la scène du baptême, au cours de laquelle les meurtres prémédités par Michael Corleone se concrétisent sous nos yeux, éliminant d'un seul trait les chefs des cinq familles, et une autre scène de la saga Game of Thrones, qui n'a pas manqué, de par sa violence et sa brutalité, de choquer les téléspectateurs, que je ne dévoilerai pas afin de ne pas gâcher la surprise vis-à-vis de ceux qui ignorent encore de quoi il est question. Quant aux autres, vous devez évidemment vous douter de l'évènement auquel je fais allusion, d'autant que nous avons justement l'occasion, au cours de cette scène, d'entendre une mélodie jouée sur le thème de la chanson à laquelle je vous renvoie dans la présente introduction. Toutefois, dans le cas de Tywin Lannister, ce qui marque les esprits tient moins à son caractère impitoyable et à son absence d'état d'âme quand il s'agit d'éliminer ses adversaires (chose somme toute « normale » dans cette lutte sans merci à laquelle les autres familles suzeraines prennent part), qu'à l'affection toute relative (doux euphémisme) qu'il manifeste à l'égard de sa progéniture. Il faut en effet, pour comprendre ce personnage, garder à l'esprit que, s'il est obsédé par le fait de perpétuer l'héritage familial et de conduire les Lannister à occuper une position dominante dans le royaume, cet objectif transcende les aspirations individuelles, dont il ne tient guère compte.
Lorsqu'il s'adresse à son fils ainé, Jaime Lannister, pour qui il a le plus d'estime et en qui il a fondé ses espoirs, ce qui met ce dernier dans une situation en réalité d'autant plus délicate, dans la mesure où il doit assumer de lourdes responsabilités et répondre aux exigences paternelles, voici ce qu'il lui dit : « Ta mère est morte. Dans peu de temps, je serai mort. Nous serons tous morts, tous en train de pourrir six pieds sous terre. C'est le nom de famille qui demeure. C'est tout ce qui demeure. Pas ta petite gloire personnelle, ni ton honneur, mais la famille ! ». À ce moment, le superbe Jaime Lannister ne peut espérer s'arroger le droit de contester les préceptes de son père.
Il faut bien l'admettre, Tywin bénéficie d'un certain charisme, notamment parce que l'autorité semble être chez cet individu une chose innée, comme le montre la facilité déconcertante avec laquelle, sous des formules de politesses venant à peine enjoliver ses répliques incisives, il parvient à dominer son petit-fils, Joffrey Baratheon, enfant-roi fou à lier et pour le moins difficile à contrôler.
Son grand-père sait parfaitement ce qu'est la vacuité des artifices du pouvoir, comme en témoigne l'une de ses assertions, tandis qu'il évoque le cas de Joffrey : « Il faudrait être fou pour croire qu'il est l'homme le plus puissant du royaume. Crois-tu qu'une couronne te donne du pouvoir ? ». En vérité, personne ne se fait d'illusion sur ce qu'est véritablement la clé de voute de la puissance de la famille Lannister, à savoir des ressources considérables alliées à une force militaire conséquente, le tout mené par une main de fer, celle de Tywin. Il est pleinement conscient du fait que le pouvoir s'appuie avant tout sur la force et qu'on gagne davantage à être craint qu'à se faire aimer, sans pour autant s’aliéner ses principaux appuis politiques par un usage excessif et inadapté de la violence. Notons par ailleurs que, si l'individu demeure détestable de par ses actes, ces derniers n'en répondent pas moins à un certain pragmatisme et au précepte machiavélien selon lequel « la fin justifie les moyens » (je sais bien que Machiavel n'a jamais prononcé cette phrase, mais elle n'en reste pas moins emblématique des pensées qu'il exprime à travers l'ouvrage Le Prince).
De surcroît, si l'on se met un tant soit peu dans la peau du personnage, à défaut de les cautionner, ses actions peuvent être comprises, d'autant qu'elles résultent en partie de stigmates passées. Comme il le confessera à Arya Stark dans ses moments de faiblesse (je précise toutefois que ces passages ne figurent pas initialement dans le livre), Tywin a été durablement marqué pendant son enfance par l'humiliation qu'était pour lui le fait de voir son père, « un faible qui a failli mener notre maison à sa perte », dans l’incapacité de contester les revendications de bannerets de plus en plus ambitieux. En outre, il ne faut également pas oublier que nous avons là un homme au cœur brisé, notamment suite au tragique décès de sa femme, morte après avoir donné naissance à un être difforme, Tyrion Lannister, pour qui il n'aura que de la haine et du mépris.
Cela nous conduit d'ailleurs à nous intéresser un peu plus spécifiquement au fils cadet de la maison Lannister. Tyrion n'a pas connu de réel amour au sein de sa famille, puisqu'il a même été le réceptacle où venaient se cristalliser toutes les haines de son père et de sa sœur, en particulier à cause de sa « responsabilité » dans la mort de sa mère au moment d'être venu au monde. Coupable du simple fait d'exister, en somme. De plus, il souffre d'un handicap physique indéniable, à savoir son nanisme, qui n'arrange rien au fait qu'il fasse déjà figure de « mal-aimé » au sein du royaume, de par l'absence de reconnaissance paternelle et la mauvaise réputation qu'il s'est créée. La première fois que le téléspectateur découvre ce personnage, dans un bordel, aux bras d'une prostituée, lui-même est tenté de tirer des conclusions hâtives sur cet être en apparence immoral, libidineux et décadent. Pourtant, ce serait lourdement se tromper que de restreindre à cette seule facette un personnage qui dissimule en vérité une véritable grandeur d'âme et qui semble au contraire se présenter comme le moins irrécupérable des membres de sa famille.
Il est indéniable qu'il a longtemps souffert d'une absence quasi-complète d'affection et du regard que l'on portait sur lui, comme en témoigne sa première conversation avec John Snow, le fils bâtard du seigneur Eddard Stark, lui-aussi marqué par le sceau de l’infamie : « Laisse moi te donner un petit conseil, bâtard. N'oublie jamais qui tu es, car le monde ne l'oubliera pas. Porte cela comme une armure et on ne pourra jamais s'en servir contre toi. ». « Qu'est-ce que vous savez de ce que ça fait d'être un bâtard ! » lui rétorque ce dernier. La réponse de son interlocuteur est alors aussi lapidaire que cinglante : « Tous les nains sont des bâtards aux yeux de leur père. ».
Malgré ces indéniables qualités, il se verra presque toujours attribué le mauvais rôle, injustement récompensé pour les services qu'il aura rendu à sa famille et au royaume, au péril de son intégrité physique, mais, plus encore, utilisé tel un bouc émissaire, le « coupable idéal » pour des affaires dont il ne sait rien, ce qui l'amènera à deux reprises à défendre tant bien que mal sa cause lors d'un procès susceptible d'aboutir à une peine capitale.
Heureusement pour lui, Tyrion Lannister dispose néanmoins de plusieurs atouts dans sa manche, à commencer par sa grande intelligence, ce qui l'amènera lui-aussi à jouer un rôle capital dans le jeu de trônes, notamment en tant que Main du roi, sorte de premier ministre disposant des véritables clés pour gouverner le royaume.
Nous avons aussi droit à des répliques savoureuses de la part de cet épicurien qui ne manque jamais une occasion de faire valoir sur un ton désabusé sa lucidité et son humour ascétique : « Le dieu du feu veut qu'on brûle ses ennemis. Le dieu Noyé veut qu'on les noie. Pourquoi les dieux sont-ils tous des connards malveillants ? ».
S'il a hérité de l'esprit pragmatique et calculateur de son père, la personnalité de Tyrion n'est pourtant pas caractérisée par la même cruauté. Derrière ses manœuvres pour entretenir sa réputation de « gnome démoniaque et lubrique », noyant son chagrin dans l'alcool et dans l'ardeur dont il fait preuve avec les filles de joie, se dissimule en vérité chez cet homme une réelle « bonté » (toute relative, cela dit, compte tenu des aléas moraux qui parsèment la saga Game of Thrones). Là où Tywin Lannister consacre en premier lieu sa froide intelligence à la préservation des intérêts de sa famille, ce fils qu'il a toujours méprisé et traité avec bien peu de considération est au contraire capable de faire un temps abstraction de ces intérêts pour mettre son talent au service du royaume. De tragiques évènements et d'odieuses trahisons l'amèneront même à se retourner contre les siens...
De surcroît, à la différence d'un Theon Greyjoy, par exemple, il fait preuve d'un bien plus grand respect à l'égard des femmes qu'il ne semble le montrer au premier abord, comme en atteste son attitude vis-à-vis de Sansa Stark, à qui il sera lié par un mariage d'intérêt, contre la volonté des deux époux. Tyrion est également l'auteur de la devise officieuse de la maison Lannister, selon laquelle « un Lannister paye toujours ses dettes », ce qui sous-entend, d'une part, qu'un service rendu à ces derniers serait l'objet d'une juste rétribution, mais aussi, d'autre part, qu'un affront ne saurait rester longtemps impuni. Dans le cas de Tyrion, néanmoins, il est surtout question, au lieu de se montrer systématiquement ferme et impitoyable envers ses ennemis, de faire preuve d'une certaine magnanimité à l'égard de tous ceux qu'il est susceptible d'acheter pour les avoir sous sa botte et en tirer un avantage, ce qui finira d'ailleurs par le desservir, puisqu'abandonné par la plupart de ses « amis » dès lors qu'il ne sera plus en mesure de leur assurer une situation confortable.
Je tiens cependant à préciser que la générosité de Tyrion ne résulte pas seulement de l'intérêt qu'il peut y trouver, comme c'est sans doute le cas avec Bronn, son garde du corps (la vénalité dont est empreinte leur relation n'empêche d'ailleurs pas que des liens d'amitié se nouent entre les deux hommes). Ce nain peut en effet adopter une attitude ouvertement altruiste, notamment en raison de son affection pour « les infirmes, les bâtards et les choses brisées ».
Par ailleurs, les autres membres de cette fratrie ne sont pas en reste, avec des caractéristiques qui leur sont propres. Nous pouvons ainsi citer Jaime Lannister, personnage plus nuancé qu'il n'y paraît la première fois que nous avons l'occasion de le rencontrer. Si, de par ses aptitudes lors d'un duel à l'épée ou de par la beauté de ses traits, il présente au premier abord tous les attributs d'un prince charmant, cette approche superficielle s'accorde assez mal avec sa sulfureuse renommée et une âme teintée de noirceur, comme en témoigne la relation incestueuse et adultérienne qu'il entretient avec sa sœur Cersei, alors qu'elle est mariée au roi Robert Baratheon, premier du nom.
Superbe et plein d'arrogance, il n'hésite pas à afficher au travers de ses formules un dédain à peine tempéré à l'égard de tous ceux vis-à-vis desquels il se sent supérieur de par son rang et ses capacités. Il nous est d'autant plus difficile d'apprécier le personnage étant donné que l'un de ses premiers actes est de jeter du haut d'une tour un enfant de dix ans l'ayant par accident surpris lors de ses ébats avec sa sœur (« une chose que je fais par amour », prétendra-t-il). Cela dit, ce geste irréfléchi illustre bien l'état d'esprit de cet individu, qui, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est pas foncièrement cruel. On peut même déceler chez lui une certaine forme d'honneur, puisqu'il se refusera à porter le coup de grâce à un adversaire avec lequel il disputait un combat ardu, à savoir lord Eddard Stark, dans la mesure où l'un de ses soldats l'avait blessé à la jambe en le frappant lâchement par derrière.
Le simple fait qu'il ait toutefois provoqué le seigneur du Nord en duel, ce après avoir fait tuer sans sommation ses hommes, met clairement en exergue, de la même manière que la décision d'avoir sur un « coup de tête » poussé un enfant dans le vide dans le but délibéré de le tuer, le constat selon lequel Jaime Lannister a une très nette tendance à se laisser aveugler par son instinct, son impulsivité lui faisant perdre la raison, ce que son père ne manquera pas de rappeler sévèrement : « Tu crois que je devrais me réjouir que ton orgueil ait contrecarré ta témérité ? ».
Ce portrait pour le moins contrasté se voit de plus assombri par l'un de ses plus célèbres « faits d'arme », le meurtre d'Aerys II Targaryen, communément nommé le « roi fou », puisqu'il a planté sa lame dans son dos, alors qu'il avait fait le serment de le protéger, brisant ainsi ses vœux en tant que membre de la Garde Royale, ce qui lui vaudra le surnom de « régicide » et le mépris d'un bon nombre de personnes. Pourtant, bien plus tard, après que le personnage, redescendu de son piédestal en raison d'une atroce mutilation, ait connu une évolution significative et nous ait livré l'un de ses plus lourds secrets, par le biais d'une touchante confession, on ne peut s'empêcher de se prendre soudain d'un tant soit peu d'empathie pour cet homme.
Il a en effet été bien mal jugé pour avoir passé le précédent roi au fil de l'épée, notamment par l'honorable Eddard Stark, qui n'hésite pas à lui rappeler qu'il l'a longtemps « bien servi », alors que cet acte désespéré a permis d'épargner une population d'un demi-million d'âme de la folie d'un tyran sanguinaire. Le dédain qu'il affichait jusqu'alors semble donc être en quelque sorte la résultante d'un mécanisme d'auto-défense face au regard des autres et à la mauvaise réputation qui lui a été attribuée du fait de son « crime », ce à quoi il est d'ailleurs loin d'être insensible, comme en atteste l'insolence dont il fait preuve quand le roi Robert Baratheon revient sur cet évènement ou bien encore quand il concède à son père que le qualificatif « régicide », teinté de mépris, le contrarie.
Le poids qu'a été pour lui le regard de son père, désireux de le voir accomplir une destinée conforme à son rang et à ses capacités, ainsi que la passion incontrôlable qui a résulté de sa profonde attirance pour sa sœur, mariée à un autre homme par intérêt, n'ont bien sûr en rien arrangé sa situation. Plus encore que son frère cadet, Tyrion Lannister, auquel les lecteurs et téléspectateurs s'identifient en fin de compte assez rapidement, Jaime est sans aucun doute l'un des personnages qui illustre le mieux l’ambivalence morale d'une saga telle que Game of Thrones, qui se refuse à tomber dans des schémas manichéens et simplistes comme on peut en croiser fréquemment dans le domaine de l'heroic-fantasy (l'oeuvre dont il est ici question est en réalité bien plus proche de la dark fantasy, ou tout du moins de la medieval fantasy, de par sa description relativement "réaliste" d'une société de type féodal).
En dépit de la difficulté que nous avons à pardonner certaines de ses coupables actions, ce personnage, sous ses airs méprisants et hautains, dissimule en réalité au fin fond de son âme tourmentée une parcelle d'esprit chevaleresque, comme en témoigne le fait qu'il choisisse de se porter au secours d'une femme sur le point de se faire violer, ce qui lui coûtera d'ailleurs très cher, et qu'il aille même tirer une seconde fois cette personne d'un mauvais pas, en dépit de ses capacités physiques amoindries. Notons aussi qu'il est l'un des rares au sein de la famille Lannister à avoir témoigné de la sympathie et de l'affection pour Tyrion, ce que met d'une certaine manière en évidence la violence de sa réaction lors de l'enlèvement de son frère cadet par des membres de la famille Stark. Amoral, mais pas nécessairement immoral, Jaime Lannister est un personnage tout en nuance, qui ne laisse pas indifférent et qui finit même par susciter notre attachement après que nous l'ayons longuement détesté.
On ne peut malheureusement pas en dire autant de sa sœur Cersei, même si nous aurons l'occasion de voir sa personnalité s'étoffer au fil de l'histoire, ce qui, sans pour autant cautionner son attitude, nous amènera à la relativiser et à la comprendre d'une certaine façon.
Au commencement du récit, cette personne n'est autre que la reine du Royaume des Sept Couronnes. Irascible, autoritaire et calculatrice, elle inspire assez vite un certain dégoût, ce plus encore après que l'on ait découvert son inceste avec Jaime Lannister et les conséquences de sa méchanceté naturelle. Dès lors qu'elle apprend que l'enfant qui l'a surprise dans ses ébats avec son frère a survécu à sa chute, mais s'est retrouvé paraplégique et amnésique, son premier réflexe est d'exiger qu'on l'achève. À cela, s'ajoute le fait qu'elle n'hésite pas, lors d'une querelle enfantine, pour rendre raison à son fils ainé, à faire exécuter une bête innocente, ainsi qu'un autre enfant. Précisons enfin, qu'en l’absence de son frère bien aimé, elle ira jusqu'à entretenir une nouvelle relation incestueuse avec son cousin germain Lancei Lannister, au mépris de tout code éthique et moral (l'exemple de la famille Targaryen montre cependant que l'inceste est loin d'être perçu comme une chose aussi abjecte et immorale dans les contrées de Westeros que dans nos sociétés actuelles).
Elle est de surcroit totalement aveugle en tant que mère à propos de la véritable nature de Joffrey Baratheon, officiellement né de son union avec son mari, Robert Baratheon, alors qu'il est en réalité le fruit d'un inceste entre les deux jumeaux. Elle est prête à pardonner les actes, en dépit de leur monstruosité, de Joffrey, qui semble visiblement fédérer toute son attention, sans pour autant qu'elle ne renie son affection envers ses deux autres enfants, Tommen et Myrcella, dont Jaime Lannister est également le père. Pourtant, on ne peut pas dire qu'il y ait une réciprocité dans cette relation qui la lie à son fils aîné, qui semble à l'inverse ne manifester que bien peu de considération pour sa mère, la traitant même sans le moindre respect.
Le personnage de Cersei ne saurait cela dit être réduit au simple « instinc maternel ». En vérité, la reine présente des facettes toutes aussi intéressantes et pourtant bien différentes des autres personnages dont j'ai fait mention au sein de cette famille. Élevée en vue de la reproduction et mariée par intérêt à un homme qu'elle n'aimait pas, elle est aussi l'expression d'un sentiment de révolte chez les femmes, dans une société dominée par le patriarcat. Cette critique acerbe qu'elle adresse à l'intention de Robert Baratheon, quand elle dit qu'elle devrait « porter l'armure et lui la robe », reflète d'ailleurs cet état d'esprit. Notons que cette simple remarque lui vaudra une giffle magistrale, en présence d'Eddard Stark, de la part d'un homme bien peu soucieux de traiter sa femme avec noblesse et dignité. Le fait que, suite à la mort de son mari, elle exprime son refus d'être « traitée comme une jument » et de se remarier, bravant ainsi l'autorité absolue du père, ce qui provoquera les foudres de ce dernier, est encore une fois révélateur de sa révolte vis-à-vis des conventions en vigueur dans le Royaume des Sept Couronnes.
Il semble qu'elle ait été également beaucoup attachée à sa mère quand elle était jeune, ce qui justifie en partie la haine viscérale qu'elle éprouve à l'endroit de son frère cadet, Tyrion Lannister. Ces souffrances et cette frustration accumulée au fil de son existence expliquent cela dit assez mal l'attitude odieuse de Cersei Lannister envers sa « petite colombe », la jeune Sansa Stark d'abord promise à Joffrey Baratheon, avant d'être en fin de compte mariée à Tyrion, alors que cette dernière se trouve pourtant placée dans une situation assez similaire à ce que fut celle de la reine durant sa jeunesse. Une discussion entre les deux femmes, tandis que le vin est venu lever les dernières inhibitions, conduira Cersei à mettre à nu toute sa pensée, ce qui la rendra d'autant plus touchante sur le moment.
Il faut cependant prendre en compte le fait qu'à la différence de Tyrion, et en dépit de la très haute opinion qu'elle tient d'elle-même, elle n'a pas hérité de l'intelligence de Tywin Lannister, ce dernier ne manquant pas de le lui faire remarquer, ce qui montre bien qu'elle non plus n'a pas reçu de réel signe d'affection de la part de son père, à défaut d'avoir été la cible de sa haine.
Sa situation nous amènerait presque à la prendre en pitié si, dans une évolution inverse à celle suivie par ses deux frères, elle ne laissait pas ses plus mauvais penchant prendre au fur et à mesure le dessus sur sa personne. En proie à une paranoïa grandissante et capable de prendre les décisions les plus calamiteuses dès lors que l'intérêt du royaume entre en jeu, Cersei ne parviendra pas à rester maîtresse d'elle-même et cela mettra en partie en évidence la raison pour laquelle ses retrouvailles avec son frère Jaime, littéralement changé par les épreuves qu'il a traversé, n'auront pas lieu dans l'allégresse, mais déboucheront au contraire sur une violente rupture.
À cette rupture, s'ajoutera une distanciation progressive avec les autres membres de son entourage, la reine s'enfermant peu à peu dans son délire, au point que ses manigances finissent par lui revenir en pleine figure.
Enfin, je vais m'attarder sur le cas de l'enfant-roi Joffrey Baratheon, qu'il conviendrait de renommer Joffrey Lannister, puisqu'en vérité, il est né de la liaison incestueuse entre les jumeaux Cersei et Jaime. Profondément dérangé et sadique, il est sans conteste le personnage que l'on adore détester par excellence, d'autant que l'un de ses ordres ne sera pas sans tragiques conséquences, puisqu'à l'origine de la Guerre des Cinq Rois qui ravagera tout le Royaume des Sept Couronnes, au prix de nombreuses vies.
Il est aussi extrêmement vaniteux, puisque convaincu de sa supériorité sur ses semblables de par sa condition de prince, et plus encore quand il se verra hériter de la couronne. Sa cruauté et son orgueil ont sans doute pour égal sa couardise, le personnage étant incapable d'assumer la responsabilité de ses actes et de mener une bataille, préférant se réfugier dans son château dès lors que le danger devient trop grand.
Les termes « pitié » et « compassion » ne font probablement pas partie de son vocabulaire, puisqu'immensément égoïste et incapable de penser à autre chose qu'au soucis de sa propre personne, préférant voir son peuple, la « populace », mourir de faim en rampant à ses pieds, tout en vantant sa magnificence, plutôt que de concéder quoique ce soit.
Comme il est exaltant pour le téléspectateur de voir son oncle Tyrion s'interposer à plusieurs reprise entre la victime et son bourreau pour ensuite remettre le petit connard de prince à sa place grâce à une gifle salvatrice...
Ajoutons à cela la bêtise crasse de Joffrey, assez stupide pour envisager le fait de mener un assaut frontal contre les troupes de Robb Stark, fils d'Eddard Stark, doté d'une supériorité indéniable en matière de stratégie militaire, alors qu'un autre prétendant au trône s'apprête à frapper en prenant la capitale du royaume par la mer. Nul doute qu'en l'absence de Tywin, véritable pierre angulaire sur laquelle repose toute la supériorité des Lannister, cette petite enflure sans courage et sans envergure ne serait jamais parvenu à conserver son trône.
Le comportement qu'il adopte avec la première de ses fiancées, Sansa Stark, qu'il prend plaisir à maltraiter et à terroriser, le rend d'autant plus détestable, ce plus est quand on sait qu'il a fait décapiter son père, rompant ses engagements et faisant de cette façon la démonstration de sa « clémence » (il est certes vrai que le seigneur Eddard Stark n'a pas souffert lors de son trépas).
Mais ce qui dérange le plus chez ce personnage, c'est le degré suprême de méchanceté qu'il peut atteindre à certains moments, s'abandonnant totalement à ses penchants sadiques, faisant couper la langue à un ménestrel ou prenant plaisir à torturer des prostituées.
Nous pouvons cela dit relativiser quelque peu les choses dans la mesure où ce dernier passage ne figure pas dans les livres, à travers lesquels l'enfant-roi est certes perçu comme un personnage cruel, mais pas nécessairement comme un individu pervers et malsain, à l'image d'un Ramsay Snow qui, que ce soit dans la version littéraire ou la version télévisée, surpasse malgré tout d'assez loin Joffrey Baratheon en terme d'ignominie.
De plus, il faut le reconnaître, sans une personnalité telle que ce consanguin dégénéré pour relancer l'intrigue et exacerber la colère du lecteur, désireux, que dis-je, impatient de le voir mourir dans d'atroces souffrances, la saga née de l'imagination de George R. R. Martin n'aurait peut être pas eu le même attrait.
Je préfère néanmoins m'en arrêter là et ne pas consacrer davantage de lignes à cette petite crevure, sachant que le personnage de Joffrey Baratheon est finalement assez unidimensionnel en comparaison des autres membres de la famille Lannister, aussi intéressants les uns que les autres de par leur personnalité et la complexité de leurs caractères.
Pour conclure, on peut, d'une manière générale, considérer les Lannister comme des individus certes peu recommandables si l'on s'en tient à leur amoralisme et aux funestes conséquences de certains de leurs actes, mais aussi comme des personnages riches en terme de personnalité, plus nuancés qu'il n'y parait au premier abord, et géniaux, contrairement à ces nigauds que sont les Stark (ça ne reste bien sûr que mon avis). Chacun d'entre eux dispose d'une personnalité qui lui est propre et qui le rend réellement intéressant aux yeux du lecteur, comme du téléspectateur (je tiens au passage à saluer l'interprétation des acteurs dans la série télévisée, qui remplissent parfaitement leur office, que ce soit Charles Dance, Peter Dinklage, Nikolaj Coster-Waldau et les autres).
D'autre part, si vous désirez disposer d'une description plus exhaustive des personnages que j'ai brièvement présentés, je vous invite à aller sur le site de la Garde de Nuit, qui constitue probablement la meilleure encyclopédie en ligne sur l'univers de la saga qu'il m'ait été donné de voir.