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Une série exceptionnelle

Une série exceptionnelle

Quand une critique acerbe des médias, des résultantes de l'utilisation abusive des NTIC et de l’inter-connectivité accrue entre les individus s'exerce par le prisme du médium télévisuel

Un monde aliénant

Un monde aliénant

S'il est une chose que l'on peut généralement reconnaître aux britanniques (même si je suis très loin d'être le premier inspiré par leur modèle socio-économique), c'est bien le fait qu'ils aient un certain talent pour nous offrir des séries de qualité, dont le succès n'est plus à démontrer. Il n'est ainsi nullement besoin de faire mention de la récente Sherlock ou encore du fameux Docteur, qui a su habilement asseoir sa pérennité depuis sa création, en des temps antédiluviens. Leur renommée n'a cessé de s'accroitre de par le monde, au point parfois même, comme ce fut le cas pour Doctor Who, de se voir érigées en pan entier de la culture du Royaume-Uni et icône des "geeks" (expression que je préfère employer avec des pincettes tant elle est devenue galvaudée à force d'être sortie à tout bout de champ).

Un univers froid et déshumanisé

Un univers froid et déshumanisé

Néanmoins, il est fort dommage de constater que, sans être foncièrement dichotomiques, ces deux composantes essentielles d'une série, à savoir la qualité qui lui est intrinsèque et le succès rencontré, sont loin d'aller toujours de pair, bien au contraire. C'est ainsi qu'une œuvre détonnante comme Utopia, originale de par sa forme et pertinente de par les problématiques soulevées et sa manière de les traiter, s'est vue annulée au bout de deux saisons pour cause d'audiences insuffisantes. Ce n'est cependant pas de ce programme que je compte vous parler aujourd'hui, mais d'une autre série, produite elle-aussi par Channel 4, chaine certes moins connue que la BBC, mais loin d'être insignifiante, ne serait-ce qu'en raison de son contenu très hétéroclite, réelle bizarrerie dans le paysage audiovisuel anglais, entre émissions de téléréalité voyeuristes et programmes qui pourraient justement passer pour le corollaire critique desdites émissions (une petite pensée pour Dead Set, qui traite d'une attaque de zombies coupant les participants du programme de téléréalité Big Brother du monde extérieur).

Une série qui nous questionne sur notre utilisation des nouvelles technologies et des médias

Une série qui nous questionne sur notre utilisation des nouvelles technologies et des médias

La série dont il est ici principalement question n'est autre que Black Mirror, diffusée pour la première fois en 2011 et écrite par Charlie Brooker, journaliste et scénariste irrévérencieux, créateur de Dead Seat... comme quoi tout se recoupe.

Mais que peut bien signifier ce mystérieux symbole présent sur tous les téléviseurs ?

Mais que peut bien signifier ce mystérieux symbole présent sur tous les téléviseurs ?

Elle est qualifiée d'anthologie dans la mesure où ses différents épisodes ne suivent pas une même trame narrative, mais s'avèrent être indépendants les uns des autres, prenant place dans un contexte différent, pour chacun narrer une histoire qui se suffit à elle-même, avec des personnages divers et variés incarnés par une pléthore d'acteurs talentueux. En ce sens, la série peut-être assimilée à une succession de moyens-métrages autonomes, tous néanmoins liés par des thématiques explicites et sous-jacentes communes. Il sera en effet, d'une façon globale, question de l'influence des technologies, notamment celles qui concourent à l'évolution de l'espace médiatique et à l'émergence de ce que l'on nomme « réalité augmentée », en ce qu'elles viennent renforcer l'inter-connectivité entre les individus et altérer la perception des êtres humains, avec des conséquences potentiellement désastreuses et les nombreuses questions éthiques qui peuvent se poser. Toutes proportions gardées, Black Mirror s'inscrit dans une démarche similaire à ce qu'avait su faire en son temps Au-delà du réel, série des années 60 surtout connue pour son générique culte qui, malgré ses effets spéciaux dérisoires, ses monstres totalement kitschs et les éternels poncifs du genre très répandu de la science-fiction paranoïaque américaine, s'était démarquée par sa position critique vis-à-vis de la société de l'époque et des applications de la science.

Des protagonistes aux prises d'une spirale infernale

Des protagonistes aux prises d'une spirale infernale

Ceci dit, pour en revenir à "Black Mirror", ne vous arrêtez pas au premier épisode, de mon point de vu (ce n'est somme toute que mon avis personnel) celui qui, à trop vouloir choquer le téléspectateur et le plonger d'entrée de jeu dans une ambiance glauque, s'avère être le moins intéressant et le plus caricatural (il faut cependant prendre en compte qu'il n'a pas tant la prétention d'être crédible dans sa façon d'enchainer les péripéties jusqu'au dénouement final que d'être avant tout une satire). On a pu d'ailleurs reprocher à la série dans son ensemble de n'être qu'une énième œuvre axée science-fiction et anticipation s'appliquant à, comble d'originalité, montrer les travers d'un prétendu « progrès », à savoir le progrès technologique, ce en forçant le trait.

Un regard sur le cynisme et la cruauté humaine

Un regard sur le cynisme et la cruauté humaine

Pour ma part, je ne rejoins pas ces critiques dans la mesure où je pense que "Black Mirror" s'attache moins à pointer du doigt la technologie en tant que telle, que l'utilisation détournée qui peut en être faite. Ici, il n'est point question d'une intelligence artificielle qui, telle Skynet, chercherait à anéantir l'humanité, comme on a pu le voir dans bon nombre de scénarios de films hollywoodiens. Il s'agit plutôt d'expliciter les ressorts mécaniques nous poussant à accepter le voyeurisme le plus abject ou encore de mettre en scène des situations dans lesquelles de simples êtres humains vont se trouver sujets à une sorte de cyber-dépendance destructrice, qui n'est pas sans rappeler l'addiction dont sont victimes les protagonistes du film Requiem for a Dream de Darren Aronofsky. À titre d'exemple, parmi ces différents moyens-métrages, « The Entire History of You » met intelligemment en exergue les dérives que peut entrainer l'utilisation systémique d'une innovation technologique en apparence fort pratique, qui permettrait de stocker ses souvenirs telles des données compilées numériquement en vue de les revisionner ultérieurement, avec à la clé le développement d'une obsession maladive entrainant la descente aux enfers d'un couple, jusqu'à ce que survienne la déchirure et qu'il ne subsiste plus que la seule amertume. Cet exemple illustre une autre grande force de la série : sa capacité à marquer émotionnellement le spectateur, puisqu'il doit se confronter à la dureté des récits qui, s'ils ne s'inscrivent pas tous dans une optique réaliste, s'enchainent dans une logique implacable que l'on retrouvait déjà dans les grandes tragédies grecques, à ceci prêt qu'une prétendue justice divine n'y a nullement sa place, supplantée ici par l'unique cruauté humaine.

Quand il résulte de l'innovation de nouvelles façons de se faire blacklisté

Quand il résulte de l'innovation de nouvelles façons de se faire blacklisté

D'autres épisodes se pencheront quant à eux sur les processus qui vont progressivement conduire un discours dissident ou un symbole subversif à se voir incorporé dans une logique marchande et mis au service de la violence symbolique d'un système oppresseur. Bien sûr, je suis encore loin d'avoir évoqué tous les problèmes ciblés dans la série et je vous laisse donc le loisir de les découvrir par vous-même, si ce n'est pas déjà fait, d'autant que cette œuvre regorge également de multiples trouvailles visuelles en vue d'explorer ces possibilités dans toute leur étendue. On est alors amené à s'interroger, avec des problématiques émergentes loin de ne concerner que la seule application des différentes innovations imaginées dans la série, mais aussi le rôle que joue la pression sociale dans l'acceptation de ces technologies peu à peu constitutives de notre identité dite déclarative, soit du miroir que nous renvoyons de nous-même. C'est ce que l'on retrouve par ailleurs à travers les travaux de sociologues tels que Pierre Mercklé ou Fanny Georges, travaux qui mettent en effet l'accent vis-à-vis de la façon dont les réseaux sociaux comme Facebook participent de l'emprise culturelle du Web 2.0 sur la représentation de soi, un soi désormais sensiblement exposé à ses semblables dans l'espace numérique. Comme vous pouvez donc le constater, de nombreux champs se recoupent ici.

En somme, un bien sombre reflet de nous-mêmes

En somme, un bien sombre reflet de nous-mêmes

C'est pourquoi, pour ceux qui ne connaitraient pas encore Black Mirror, je vous invite vraiment à y jeter un œil, d'autant que cette série ne manque absolument pas de qualités sur la forme, que ce soit pour sa maitrise de la narration et du rythme, ses excellents acteurs et sa réalisation soignée. Elle tire aussi intelligemment profit de son format quelque peu particulier, préférant la qualité à la quantité, avec deux premières saisons de trois épisodes chacune et un épisode spécial Noël intitulé « White Christmas », si dense et brassant tant de thèmes chers à l'oeuvre qu'il équivaut presque à lui tout seul à trois épisodes. Si tous les moyens-métrages ne se valent pas, chacun vient ajouter sa pierre à l'édifice et c'est bien la pluralité des approches (une parabole tordue de l'ère Twitter, suivie d'une satire grinçante des émissions de divertissement comme X-Factor ou Britain's Got Talent, à son tour suivie d'un récit plus intimiste sur fond de transhumanisme, et ainsi de suite...) qui, sans nuire à la cohérence, fait le sel de l'oeuvre, une œuvre qui inspire la peur en ce que le reflet qu'elle renvoie de nous-mêmes n'est malheureusement pas si éloigné de notre société, mais bien au contraire d'une justesse à glacer le sang. Sous ses airs quelques peu surréalistes de prime abord, la série parvient donc à saisir l'essence-même du réel.

https://www.youtube.com/watch?v=hrtfu5HgoDk

https://www.youtube.com/watch?v=lHjIXCCHh3s

Tag(s) : #Billet, #Série, #Science-fiction
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